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Le Nouveau Virage de la FrançAfrique
Une analyse de Philippe Bernard Le Monde.fr
Entre la France et ses anciennes colonies, lheure est au retour aux mauvaises vieilles habitudes : poids des émissaires officieux, priorité absolue aux intérêts économiques et stratégiques de la France sur les exigences démocratiques et les revendications des sociétés Africaines. Une analyse du "Monde"
Linvestiture dAli BONGO coïncide avec la discrète réorientation de la politique de Paris vis-à-vis du continent Africain. Cette fois-ci, aucun discours de Nicolas SARKOZY naura annoncé le vent nouveau. Ni celui de la rupture avec la FrançAfrique Chiraquienne, comme à Cotonou en mai 2006, ni celui de la sincérité provocante, comme à Dakar en juillet 2007.
Une inflexion de la politique Africaine de la France vient de se négocier dans le silence feutré de lElysée, sans envolée lyrique ni médiatisation. Longtemps brandie par le président, la volonté de rénovation du tête-à-tête usé entre Paris et ses anciennes colonies a fait long feu. Lheure est au retour aux mauvaises vieilles habitudes : poids des émissaires officieux, priorité absolue aux intérêts économiques et stratégiques de la France sur les exigences démocratiques et les revendications des sociétés Africaines. Loin des velléités de banalisation, lAfrique redevient un domaine ultra-réservé au plus haut sommet de lexécutif.
Discret, le tournant na pas été pris en un jour. Il coïncide pourtant avec un événement hautement symbolique : lélection, bénie par la France, dAli BONGO, le 30 août.
Pur hasard ? La veille du scrutin Gabonais, une autre nouvelle significative avait filtré : le départ pour lambassade de France au Maroc de Bruno JOUBERT, conseiller de Nicolas SARKOZY, chargé de lAfrique et figure de proue des "rénovateurs" de la présidence.
Ceux précisément qui avaient manuvré en mai 2007 pour griller la politesse à Omar BONGO alors quil exigeait dêtre le premier chef dEtat Africain à être reçu par le nouveau président français. A sa grande surprise, la première femme élue démocratiquement à la tête dun Etat Africain, la Libérienne Helen Johnson SIRLEAF, de passage à Paris, avait alors eu les honneurs de lElysée avec vingt-quatre heures davance sur le vieil autocrate Gabonais. Un symbole prometteur.
"Bruno JOUBERT na pas été débarqué, assure aujourdhui un haut diplomate, mais son remplacement aura des conséquences importantes. Jusque-là, SARKOZY marchait sur deux pieds en Afrique (la diplomatie traditionnelle personnifiée par Bruno JOUBERT, équilibrant le poids des émissaires officieux qui rendent compte à Claude GUÉANT, le secrétaire général de lElysée). Désormais, il risque de boiter."
Notoirement agacé par les interventions de lavocat Robert BOURGI, lun de ces missi dominici officieux de la présidence, Bruno JOUBERT affirme que ce dernier "na pas cessé de jouer à contre-pied de ce quest la politique française" en Afrique. "Ses interventions ne mont pas fait diverger et jai toujours agi avec laccord du président de la République", assure-t-il cependant.
Le départ du diplomate ne peut que réjouir BOURGI, qui doit savourer lévénement, mais en silence : LElysée lui a demandé de se faire discret après ses tonitruantes prises de position en faveur dAli BONGO.
Sur le dossier Gabonais, BOURGI a gagné : en dépit dun scrutin suspect et de pratiques financières désastreuses pour la population, il nest plus question pour la France de prendre ses distances avec le régime Gabonais. Tout en répétant que "la France na pas de candidat", lexécutif Français a tout fait pour favoriser lélection dAli BONGO.
Une semaine avant le vote du 30 août, Alain JOYANDET, qui a succédé en mars 2008 à Jean-Marie BOCKEL limogé sous la pression dOmar BONGO, sétait discrètement rendu en Guinée Équatoriale. Dans ce pays pétrolier limitrophe du Gabon, le secrétaire dEtat, dépêché par lElysée, a plaidé la cause dAli BONGO, quun conflit frontalier oppose au président Équato-Guinéen Teodoro OBIANG.
A ce dernier, JOYANDET a demandé - en vain - de cesser son soutien financier à la campagne dAndré MBA OBAME, lun des principaux opposants de BONGO junior. MBA OBAME, qui estime que la victoire lui a été volée, observe aujourdhui une grève de la faim pour protester contre ce quil appelle un "putsch électoral".
Alain JOYANDET, avant de senvoler pour Libreville où il représentait la France, vendredi, à la cérémonie dinvestiture, a poussé loin le service après vente en faveur dAli BONGO. Il convient de lui "laisser le temps de démontrer quil peut être un président de rupture", a-t-il déclaré, déchaînant la colère des opposants.
La succession dOmar BONGO na fait que mettre en lumière
le maintien en odeur de sainteté de tous les potentats "amis de la France" et la fin de la prétention de SARKOZY à leur "parler franchement". Elle a aussi révélé le rôle non négligeable joué par Robert BOURGI. La porte de Claude GUÉANT, secrétaire général de lElysée, nest jamais fermée à cet héritier des réseaux Gaullistes, lobbyiste actif en faveur de son client Ali BONGO.
A lévidence, laxe JOYANDET-BOURGI sous la houlette de Claude GUÉANT, a pris la main sur la cellule diplomatique, affaiblie par le départ de Bruno JOUBERT. GUÉANT, ancien préfet de Franche-Comté, est dailleurs une vieille connaissance dAlain JOYANDET, élu de Haute-Saône et candidat à la présidence de la région.
Le profil dAndré PARRANT, successeur de Bruno JOUBERT à la tête de la cellule Africaine de lElysée (forte de deux autres diplomates), renforce cette analyse.
Propulsé dans ce saint des saints sans grande expérience Africaine (un passage à la coopération à Bangui puis Paris et deux années dambassade à Dakar), le nouveau "M. Afrique" de lElysée se présente comme un homme "de synthèse, non dogmatique", conscient du "principe de réalité", là où M. JOUBERT prétendait avoir toujours pour feuille de route le discours rénovateur de Cotonou. "Quelquun de solide, qui ne fera pas de vagues", résume un proche.
La prééminence de Claude GUÉANT est désormais totale, au moins pour les dossiers concernant lancien "pré carré" Français, les plus sensibles politiquement. "Nicolas Sarkozy na pas de politique Africaine, analyse un diplomate. Il considère quil ny a que des coups à prendre et a délégué la question à Claude Guéant que le continent amuse" . Un autre haut fonctionnaire constate : "Le secrétaire général de la présidence a désormais la haute main à la fois sur les questions Africaines et sur celles de renseignement. Comme du temps de Jacques FOCCART (secrétaire général de lElysée sous De Gaulle)."
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