-
Entretien de Sarko à la Semaine Africaine
ENTRETIEN DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANCAISE
Bi-hebdomadaire "La Semaine Africaine"
Parution mardi 24 mars 2009
1-Excellence Monsieur le Président, votre visite se résume à deux demi-journées et une nuit à Brazzaville ; les Congolais pensent quils méritent plus, à linstar de ce que firent vos prédécesseurs, François Mitterrand et Jacques Chirac, eu égard aux relations historiques qui lient les deux pays, le Congo et la France. Quel est finalement lobjet de votre déplacement à Brazzaville ?
LE PRESIDENT Mon déplacement concerne trois pays : les deux CONGOS et le Niger. La République du Congo est le pays où je séjourne le plus longtemps et dailleurs le seul où je passe la nuit. Lobjet de ce voyage ? Il sagit dune visite damitié mais dont le contenu sera dense car les liens entre nos deux pays sont étroits et multiples. Les questions évoquées seront donc nombreuses. Elles concernent, bien sûr, notre coopération bilatérale, mais aussi tous les autres sujets qui intéressent nos deux pays, notamment la situation économique et la situation régionale.
2- Le Congo-Brazzaville tiendra sa prochaine élection présidentielle dans quelques mois, précisément en juillet prochain si tout marche bien. Comme dhabitude dans pareil événement, certains Congolais y voient déjà lombre de la France.
Ne craignez-vous pas que votre visite, qui intervient dans un contexte de pré campagne électorale, soit interprétée par une partie de la classe politique Congolaise comme un coup de pouce à un candidat, particulièrement le candidat sortant qui aura lhonneur de recevoir son homologue, même si cest une visite dÉtat à État ?
Ferez-vous un geste en direction de lopposition congolaise qui manifeste lenvie de vous rencontrer ?
LE PRÉSIDENT Je dois être très clair à ce sujet : je ne suis pas électeur au Congo, je ne milite dans aucun parti Congolais et je ne suis porteur d'aucune consigne de vote !
La France na pas de candidat. Il appartient aux seuls électeurs Congolais de sexprimer. En revanche, nous souhaitons encourager tout ce qui peut être fait, dans le cadre de nos relations amicales, pour que lensemble des acteurs politiques démontrent leur attachement à la démocratie et la paix.
Dans cet esprit, sagissant de lopposition qui a demandé à me voir, je ne vois pas pourquoi je refuserai.
3- Monsieur le Président, votre discours à lUniversité Cheik ANTA DIOP de Dakar, au Sénégal, en juillet 2007, a été ressenti et même vécu par lélite africaine comme une douche froide. Les Africains ne souhaitent pas recevoir des leçons de morale intellectuelle, sociale, économique etc., de la part de lancienne puissance coloniale qui nest même pas prête à présenter ses excuses sur les crimes de la colonisation. Car, selon vous, la colonisation a été un marché normal du donner et du recevoir (le colonisateur avait pris, mais il avait aussi donné, dites-vous).
Est-ce que les réactions des Africains à ce discours ont suscité en vous sinon une remise en cause du moins une rectification de votre perception, de votre vision de lAfrique ? Que leur dites-vous ?
LE PRÉSIDENT Je leur dis : relisez attentivement ce discours car il a été plus critiqué quil na été lu ou entendu.
Votre question illustre bien la manière dont ce discours a été caricaturé. Je nai jamais dit, comme vous le prétendez, que la colonisation « a été un marché normal du donner et du recevoir ».
Si vous prenez la peine de lire ou de relire ce discours, vous constaterez que jai beaucoup plus parlé des crimes et des erreurs commises par la colonisation que de ce que le colonisateur a pu donner. C'est d'ailleurs la première fois, à ma connaissance, que, par ma voix, les choses ont été dites aussi nettement.
Dans une ville qui shonore dhéberger un mémorial en hommage à SAVORGNAN de Brazza vous devriez être les mieux placés pour savoir quil y avait parmi les colonisateurs des hommes qui pensaient faire le bien. Cela ne veut pas dire quil faille nier ou passer sous silence les crimes commis pour la construction du CFCO.
Ce discours a été franc, et pour rester franc, je dois admettre que le débat suscité a été utile mais que je regrette quil ait pris un tour aussi polémique et suscité tant doutrances et de procès dintentions.
Si nous voulons rénover la relation entre la France et lAfrique, et croyez que je le souhaite, cela doit passer par un minimum de franchise. Même si lélite ou les élites naiment pas entendre ce message, je reste persuadé que la tendance de cette élite à rendre lextérieur ou le passé colonial responsables de tous les problèmes de lAfrique ou de ses échecs sans exception ne peut quenfermer lAfrique dans ces problèmes ou ces échecs.
Je refuse à ce sujet une quelconque interdiction de donner son avis sur lAfrique au nom du passé colonial.
Le Congo fêtera lannée prochaine les 50 ans de son indépendance, c'est-à-dire presque deux générations. Il est sans doute temps de penser à sortir dune grille danalyse exclusivement coloniale. Je note enfin que toutes les réactions à ce discours nont pas été négatives, loin de là.
4- Candidat, vous avez prôné la "rupture" avec une certaine tradition de la politique française en Afrique qui a érigé, en son sein, un grand salon dinitiés baptisé ironiquement "FrançAfrique", qui cache mal des relations coupables entre la France et lAfrique. Quest-ce que vous avez déjà changé, dans ces relations, en dehors de la réduction de la présence militaire française en Afrique?
LE PRÉSIDENT Vous qualifiez la FrançAfrique de "grand salon dinitiés". Cest la première fois que jentends cette définition. Cest intéressant car jai le sentiment que chaque personne qui utilise le terme FrançAfrique y met quelque chose de différent.
Ce mot est devenu une des grilles de lecture d'autant plus commode qu'elle est imprécise, une sorte de "prêt à penser". Pour son inventeur, le Président HOUPHOUËTBOIGNY, ce mot navait rien de péjoratif ; il lest manifestement devenu, principalement en raison du manque de transparence et de lisibilité.
Pour sortir des fantasmes et des procès dintention, il faut être clair et transparent sur ce que sont nos intérêts comme nos objectifs en Afrique. Cest ce que jai fait en décrivant l'année dernière, dans mon adresse au Parlement sud-africain, au Cap, les intérêts de sécurité, les intérêts économiques et les intérêts stratégiques de la France en Afrique. Car en Afrique, comme sur tous les continents, la France, puissance mondiale, a des intérêts. Et pourquoi seraient-ils moins acceptables en Afrique qu'en Asie ou en Europe ?
Cest aussi lobjet de la renégociation des accords de défense avec nos partenaires africains. Lannonce que javais faite il y a un an à ce sujet vient de se concrétiser avec la signature, il y a quelques jours, avec le Togo dun accord instituant un partenariat de défense en lieu et place du précédent accord de défense. Cet accord et les suivants seront soumis à la ratification du Parlement et seront publiés. Ce nest naturellement pas le seul changement, mais cest celui que les journaux ont retenu car c'est un aspect emblématique de nos relations.
Parmi les autres changements, je souhaite citer lévolution de notre engagement en faveur du développement de lAfrique qui ne repose plus seulement sur laide publique au développement. Cette aide reste indispensable pour réaliser les objectifs du millénaire pour le développement et la France tiendra ses engagements financiers dans ce domaine. L'aide n'est cependant pas suffisante pour réduire rapidement la pauvreté. Elle doit en effet saccompagner dun effort de soutien à la croissance économique des pays d'Afrique, qui n'ont pas assez d'entreprises et dont l'économie repose trop sur l'exploitation des matières premières. Dans ce domaine aussi, linitiative que jai annoncée il y a un an
visant à mobiliser 2,5 milliards deuros en 5 ans en faveur du financement des entreprises africaines, a commencé à se réaliser.
Il y aurait encore beaucoup à dire. Pour être bref, je souhaite simplement rappeler que je considère que la relation entre la France et lAfrique doit être équilibrée, privilégiée et prioritaire. Jai lambition de sortir cette relation de la caricature que révèle votre question et je compte donc continuer à refonder cette relation avec un souci constant de transparence.
Maintenant, pour changer une relation, il faut être deux, et jespère que mon ambition est partagée.
5- Sans pour autant anticiper sur les résultats de votre voyage, quelles sont, selon vous, les retombées auxquelles les Congolais peuvent légitimement sattendre de votre visite au Congo-Brazzaville, dans le domaine de la coopération entre les deux pays, la France et le Congo ?
LE PRÉSIDENT Vous parliez tout à lheure de rupture, je pense que ce serait une vraie rupture si nous pouvions cesser de mesurer notre relation seulement en termes dassistance, du donateur au récipiendaire, de la main qui donne à celle qui reçoit, pour aller vers un vrai partenariat, équilibré et décomplexé, aux mains qui uvrent ensemble.
Cest dans ce sens que je souhaite faire évoluer nos relations de coopération. Au lendemain de mon élection, le Président SASSOU NGUESSO mavait alors fait part de son désir de réorienter notre coopération pour ladapter aux priorités quil a définies, particulièrement en matière dinfrastructures.
Dun commun accord, nos deux gouvernements ont alors entrepris un travail de refonte de nos relations de coopération qui a abouti à la signature dun Document Cadre de Partenariat (DCP), en mai 2008 à Pointe-Noire.
Ce document prévoit sur 5 ans un ensemble de projets de coopération avec une estimation chiffrée par grand thème. Comme la souhaité le Président SASSOU NGUESSO, lenveloppe globale a été augmentée et les besoins plus précisément définis. Dun montant total de 120 Milliards de Fcfa sur 5 ans, trois priorités ont été définies : les infrastructures, la formation professionnelle, le développement durable.
Cette visite va être loccasion de faire le point sur létat davancement des projets et le moment de lancer certains programmes importants comme celui relatif au Port Autonome de Pointe Noire.
En dehors de cette aide directe, seront aussi évoquées les annulations de dette que la France a consenties envers le Congo, tant à titre bilatéral quà titre multilatéral.
6- Enfin dernière question, Monsieur le Président - mes compatriotes men voudront de ne pas lavoir posée - car ils trouvent que les conditions dentrée en France sont toujours difficiles, même pour les étudiants qui rêvent dy poursuivre leurs études supérieures. Est-ce que les nouvelles dispositions destinées à faciliter limmigration légale en France, ces fameux accords signés par Brice HOTTEFEUX avec des gouvernements africains, dont celui du Congo-Brazzaville, ne souffrent pas de la limitation des quotas et des pesanteurs administratives dans les ambassades ?
LE PRÉSIDENT Les échanges humains dans les deux sens entre nos deux pays ont toujours été denses. Il sagit dune spécificité de notre relation à laquelle je suis attaché car notre familiarité réciproque est un atout.
Laccord auquel vous faites référence nest pas encore entré en vigueur mais je nai pas le sentiment que nos relations souffrent aujourdhui de pesanteurs particulières dans ce domaine.
En 2008, lambassade de France à Brazzaville a délivré 7 000 visas sur 8 700 demandés, toutes catégories confondues, soit une légère augmentation par rapport à 2007. On estime le nombre de Congolais vivant en France à environ 25 000.
Laccord relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au co-développement, signé en octobre 2007 entre la France et le Congo, a un objectif qualitatif en cherchant à mieux accueillir les Congolais, selon des principes arrêtés en commun avec les autorités Congolaises.
Souvent, ils sy sont fixés à lissue de leurs études. Dailleurs, 3 000 Congolais étudient actuellement en France.
Tenant compte de ce chiffre, laccord relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement donne une bonne place à la question des études en France. Il prévoit la création dune structure dorientation des étudiants appelée CampusFrance. Celle-ci sest ouverte moins de trois mois après la signature de laccord et donne satisfaction. Son site internet a reçu 24 000 visites du 1er janvier au 30 septembre 2008. 3 000 visiteurs ont fréquenté ses locaux et 1 735 dossiers ont été ouverts.
Lambassade a également augmenté les visas dits de circulation qui sont valables sur une longue durée, ce qui représente une amélioration notable de la circulation entre nos deux pays.
Enfin, il ne faut pas oublier le volet "co-développement" de cet accord.
Limmigration doit, dans lidéal, devenir temporaire ou circulaire pour que le Congo bénéficie dun retour des connaissances qui laideront dans son développement économique. Le Congo a besoin de ses élites et la France ne
-
Commentaires